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Rétrospective : 2018 en Amérique Latine

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L’un des traits majeurs de la configuration géopolitique latino-américaine en 2018 fut la succession d’élections municipales, régionales, présidentielles, législatives et de référendums dans les différents Etats de la région. En avril, le candidat de centre-gauche Carlos Alvarado est devenu Président du Costa Rica. Ensuite, Miguel Diaz Bernal est devenu le nouveau dirigeant cubain, le premier n’appartenant pas à la famille Castro depuis 1959. Toujours en avril, le candidat du Partido Colorado , à droite de l’échiquier politique, Mario Abdo, a été élu Président du Paraguay. Le candidat de droite Ivan Duque est devenu Président de Colombie en juin suivi par l’élection du candidat populiste de gauche Andrés Manuel Lopez Obrador à la tête du Mexique. Enfin, en octobre, le candidat du Parti Social Libéral , d’extrême droite, Jair Bolsonaro, a été élu comme Président du Brésil. Notons également l’arrivée de Martin Vizcarra à la tête de la République péruvienne suite au départ de son prédécesseur Pedro Pablo Kuczynski dit « PPK » après des scandales de corruption.

On constate ainsi que l’essentiel de la région s’est orienté vers la droite. Dans les cas cubain et mexicain, ces nouvelles figures représentent une rupture avec la domination des Castro et du PRI sur les deux pays, respectivement. Dans les années 2000, on avait assisté au phénomène inverse puisque de nombreux pays étaient alors marqués à gauche : Bolivie (Morales), Cuba (Castro), Chili (Bachelet), Equateur (Correa), Argentine (Kirchner), Brésil (Lula/Rousseff), Venezuela (Chavez/Maduro). Le changement général de gauche à droite peut être attribué à plusieurs facteurs, néanmoins deux explications se détachent. Premièrement, plusieurs gouvernement de gauche ont suscité de grandes espérances populaires sans pouvoir les satisfaire. Ensuite, plus particulièrement, le Parti des Travailleurs au Brésil a été récemment marqué par des scandales de corruption touchant notamment Lula. Plus généralement, on peut considérer l’émergence d’un nouveau paradigme politique en Europe et en Amérique. L’arrivée au pouvoir de Salvini, Orban, Trump et Bolsonaro, parmi d’autres, illustre l’essor d’une droite dite populiste voire libérale autoritaire, c’est-à-dire associant conservatisme social et libéralisme économique.

L’Amérique latine est elle une région en crise ?

Les événements de 2018 sont autant de facteurs d’instabilité dans cette région. Les deux premières qui viennent à l’esprit sont les crises au Nicaragua et au Venezuela. Les deux situations sont assez comparables. Un régime de gauche (sandiniste ou chaviste) a au fil des années réduit l’opposition intérieure et affermi son emprise sur le pays, l’Etat et la population. Par de mauvaises décisions stratégiques, les deux gouvernements ont conduit leur Etat respectif à la déroute et à de profondes crises économiques. Les peuples nicaraguayen et vénézuélien subissent le rationnement et les restrictions alimentaires, voire la famine. Réduits à de déplorables conditions de vie, beaucoup se sont résolus à prendre le chemin de l’exode en Amérique Centrale et en Amérique du Sud. Ce phénomène contribue à affaiblir les pays voisins, notamment la Colombie du fait de l’arrivée croissante de réfugiés.

Les relations bilatérales ont également connu des moments de tension. La relation entre le Mexique et les Etats-Unis est couramment l’objet de tensions transnationales, que ce soit au sujet de la migration hispanique aux Etats-Unis (cristallisation autour de la question du mur frontalier voulu par le président Trump) ou de la récente crise autour de la Caravana . L’année 2018 a également été marquée par une tension aiguë entre le Chili et la Bolivie au sujet de l’accès à la mer de cette dernière. Perdus depuis la Guerre du Pacifique (1879-1884), ces territoires ont été réclamés par le gouvernement d’Evo Morales. Après décision de la Cour Internationale de la Haye, cette revendication a été classée sans suite. Au Brésil, suite à l’élection de Jair Bolsonaro, le programme médical Mas Médicos réalisé par Cuba au Brésil a été interrompu par le nouveau Président. Cela a mécaniquement suscité des tensions entre les deux Etats latino-américains.

En fin d’année, l’Amérique Centrale a été l’objet d’une importante crise migratoire, baptisée la Caravana . Plusieurs colonnes de migrants transportant leurs biens ont ainsi quitté le Honduras avec pour objectif d’atteindre la frontière nord-américaine. Le gouvernement mexicain s’est montré hésitant à cet égard tandis que l’administration Trump a mobilisé la Garde Nationale mais aussi des forces d’active pour renforcer les défenses à la frontière. Cette migration est due aux difficultés économiques et à l’autoritarisme des différents Etats de la région.

Malgré ces nombreuses crises et tensions, l’Amérique du Sud a connu également l’apaisement des tensions entre le Pérou et l’Equateur. L’histoire de la relation entre ces deux pays est marquée par une succession de conflits pour la possession des régions amazoniennes. Ainsi, on a fêté en octobre les 20 ans du Traité de Brasilia qui entérine la fin de l’affrontement entre les deux voisins. En dépit de tensions et de crises en Amérique Latine, la région connait également en 2018 des avancées en matière de coopération transnationale. Cette coopération entre pays voisins se traduit de différentes manières : exercices bilatéraux ou multilatéraux, associations régionales et rassemblements stratégiques temporaires.

En effet, on a pu observer la succession d’exercices militaires, policiers et stratégiques dans la région, associant plusieurs pays. L’Equateur, le Pérou et la Colombie se sont réunis à plusieurs reprises pour renforcer l’interopérabilité de leurs effectifs et améliorer leur lutte contre le narcotrafic et le crime organisé. Les pays d’Amérique Centrale, dont le Salvador et le Guatemala, ont mis en commun leurs efforts dans la lutte contre le crime organisé. La Bolivie, le Paraguay, l’Uruguay, le Brésil et l’Argentine ont réalisé des manoeuvres collectives dans le Rio de la Plata et au niveau du fleuve Parana. Enfin, des appareils chiliens et argentins ont volé ensemble dans le cadre du centenaire de la traversée aérienne des Andes.

L’ UNASUR est actuellement menacée par le virage à droite du continent et le départ symbolique de plusieurs Etats-membres, dont la Colombie. Le rassemblement de l’ ALBA en 2018 a réuni les dirigeants socialistes de Bolivie (Morales), Cuba (Diaz Bernal), du Nicaragua (Ortega) et du Venezuela (Maduro) même si elle est en réalité très affaiblie et réduite. L’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro au Brésil est susceptible de provoquer le départ de ce pays hors du Mercosur . Face à ce constat préoccupant, de nouvelles formes d’intégration régionale sont en réalité en gestation.

Les pays d’Amérique Centrale renforcent leur coopération et l’intégration dans un bloc régional cohérent. D’autre part, les nouvelles équipes dirigeantes (Mexique, Cuba, Colombie, Paraguay, Brésil…) peuvent à leur tour proposer des alternatives d’intégration régionale. Parmi les différents sommets à caractère sécuritaire ou militaire qui ont réuni plusieurs nations latino-américaines, peuvent être évoqués Exponaval , Velas Latinoamérica ainsi que d’autres sommets concernant les forces de police et la cyberdéfense.

Un dernier élément remarquable de l’année 2018 en Amérique Latine a été l’émergence de la présence chinoise dans cette région. Au travers de la coopération stratégique bilatérale, de contrats d’armement ou de formations des personnels militaires locaux, Pékin a développé sa présence face à l’influence traditionnelle des Etats-Unis. Au Venezuela, la Chine a été présente à travers des exercices militaires, de l’aide humanitaire (déploiement d’un navire-hôpital), des contrats d’armement. L’orientation politique du régime chaviste contribue à renforcer les liens entre Pékin et Caracas au nom des principes communistes revendiqués. En Equateur, rappelons que les appareils militaires sont d’origine chinoise. En outre, un prêt de plusieurs millions de dollars à un taux de 6% a été consenti par la Chine au pays. Au Panama, un centre opérationnel et stratégique a été inauguré avec la présence de représentants chinois ayant participé à sa construction. Au Salvador, les échanges entre le gouvernement et la Chine ont été dénoncés par les Etats-Unis qui critiquent un « manque de transparence ».

Dans le reste de l’Amérique du Sud, Pékin manifeste sa présence par des manoeuvres militaires collectives, des contrats d’armement, des formations stratégiques. Si l’influence chinoise occupe une place particulière, d’autres Etats se sont rapprochés des pays latino-américains au cours de l’année 2018. La Russie a ainsi renforcé ses échanges avec le régime chaviste de Nicolas Maduro. La Turquie a également proposé de soutenir le régime vénézuélien en difficulté. De leur côté, les acteurs européens sont également présents. Il convient à cet effet de rappeler les échanges plurisectoriels entre l’Union Européenne et les nations latino-américaines, y compris dans les domaines militaire, stratégique, de cyberdéfense et de l’aérospatial. La France s’est distinguée par la vente de 4 patrouilleurs OPV à l’Argentine et de 5 sous-marins d’attaque (qui seront livrés entre 2018 et 2029) au Brésil.

Thomas Péan

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